Etat des lieux et définition de l'automutilation

Ici vous pouvez discuter de tout ce qui concerne directement l'automutilation, mais aussi de ce qui n'a pas sa place ailleurs.
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Vincent

Etat des lieux et définition de l'automutilation

Message par Vincent »

J'ai trouvé ceci sur Internet, c'est vraiment trés intéressant.


Automutilations à répétition du sujet jeune : parler un même langage
S. Lambert, G. Dupuis, M. Guisseau, J.-L. Venisse Service d?addictologie du CHU de Nantes Espace Barbara, 9 bis, rue Bouillé, 44000 Nantes




État des lieux

Selon Favazza (1), plus de 3 millions d?Américains s?automutilent, soit près de 1 % de la population des États-Unis, et dont plus de la moitié de façon répétée (2). En Grande-Bretagne, pour Hawton et al. (3), les automutilations représenteraient 24000 hospitalisations d?adolescents par an, avec 10,3 % de jeunes de 15-16 ans s?étant volontairement blessés au cours de l?année 2002 contre seulement 6,9 % d?une même tranche d?âge l?année précédente (étude effectuée par autoquestionnaire anonyme sur une population de 6020 élèves). Des chiffres véritablement alarmants mais probablement sous-estimés car ces lésions sont trop souvent justifiées comme accident ou bien de par leur caractère secret et honteux (même s?il est décrit des sujets qui tendent à exposer leurs lésions comme une preuve de leur bravoure et de leur toute-puissance).
La plupart de ces automutilations (entre 30 [4] et 64 % [5]) seraient des coupures cutanées, sans que la distinction scarifications cutanées-phlébotomies puisse être réellement faite dans certains cas. Brûlures, coups, entraves aux soins et même intoxications volontaires arrivent ensuite, mais, malgré la fréquence d?une méthode de prédilection, les moyens utilisés apparaissent généralement multiples (75 % des sujets [5]). Les atteintes de l?avant-bras gauche sont les plus fréquentes, celles du ventre, des cuisses ou encore directement des parties génitales traduisant une symbolique sexuelle plus particulière et celles du visage une perturbation grave et plus rare de l?identité.
La littérature actuelle (7), à l?image de Leinbenluft (8) s?accorde pour décrire à ces conduites une séquence comportementale en 5 étapes :
- un événement précipitant : une séparation, une frustration?, un événement, en apparence, de plus en plus insignifiant au fur et à mesure de l?installation du comportement (Farber [9]) ;
- un vécu psychique désagréable, croissant, reflet d?une tension interne, principalement sous la forme d?angoisses massives, archaïques et difficilement verbalisables, intriqué à une dimension relationnelle ;
- anticipation de l?automutilation : la tension et la souffrance psychique vont réclamer une décharge, un retournement de la passivité à
l?activité ;
- l?automutilation agissant en tant que court-circuit élaboratif, pour maintenir une homéostasie ;
- dénouement, notamment apaisement de la tension, malgré la douleur physique.
À noter que si cette douleur existe et si l?idée d?une anomalie du seuil algique basal de ces sujets est très contestée, les études décrivent de 28 % (10) à 50 % (11) des automutilateurs présentant une analgésie totale durant l?acte (endorphines [12] ?, état dissociatif [13] ?, clivage et angoisses psychotiques [14] ?)
La séquence se répéterait ainsi jusqu?à devenir prédominante et grever les capacités adaptatives et relationnelles du sujet. Toutefois certains sujets distinguent leurs automutilations contraignantes et leurs automutilations-plaisir, sans tension psychique préalable.
Sur un plan plus symptomatique, de nombreuses comorbidités leur sont habituellement associées : dépression (de 45 % [15] à 72 % [16] des cas), troubles addictifs (17, 18) et notamment troubles du comportement alimentaire (de 57 à 93 % des automutilateurs [19-23]), personnalité borderline [24], TOC [25]? mais aussi des antécédents spécifiques, dans une perspective plus génétique, avec la fréquence importante d?abus sexuels, de maltraitance durant l?enfance (26, 27).

Nous voyons bien que, dans cette pléiade de chiffres, tend à se dégager un consensus quant à la description d?une entité cohérente sur un plan tant de la clinique, des comorbidités que du public touché. Mais, même si la reconnaissance de ce phénomène comme un véritable problème de santé publique est de plus en plus admise, même si les ouvrages sur les automutilations tendent à fleurir sous des angles aussi bien psychiatriques que sociologiques, voire sous la forme d?articles dans la presse généraliste ou d?émissions télévisées (même l?acteur Johnny Depp ou la Princesse de Galles Diana ont avoué publiquement s?être infligé volontairement des coupures cutanées?), la circonscription et la définition du phénomène restent très épineuses.




Un problème de définitions


? Automutilation : ?Conduite pathologique consistant à s?infliger des mutilations?, nous indique le dictionnaire Larousse nous entraînant dans une véritable tautologie.
? Mutiler : ?(du latin mutilare) Retrancher un membre ou un organe/Détériorer, détruire partiellement, tronquer : mutiler un monument, la vérité?. La question, loin de se simplifier, se complique d?une extension depuis l?ablation corporelle irréversible jusqu?à l?altération de concept, d?idées, quittant donc là le domaine du réel et du corps.
La nosographie psychiatrique ne sort pas non plus indemne de cette difficulté de définition : nous pouvons nous poser la question de la légitimité à ranger sous le même vocable des actes extrêmes tels que les ablations irréversibles, gravissimes dans leurs conséquences lésionnelles, voire potentiellement létales, et les gestes banaux qualifiés d?habitude nerveuse tels que l?onychophagie ; ou encore de mettre dans une même catégorie la décharge motrice meurtrissante du sujet déficitaire (et sa dimension fondamentale d?autostimulation) et les gestes délibérés et érotisés du masochiste.
? Certains auteurs ont tenté de surmonter l?écueil en utilisant des axes de classification :
- Carraz et Ehraardt (28), dans une population de déficitaires, proposent de distinguer, suivant la gravité, les automutilations graves et permanentes, permanentes, a minima ;
- Shentoub et Soulairac (29) cherchent eux la différenciation suivant l?intentionnalité, depuis le geste auto-vulnérant accidentel jusqu?à la stratégie du désir évolué du névrotique ;
- Scharbach (30) envisage, lui, une définition terminologique selon un axe de gravité depuis les gestes offensifs bénins, sans traduction somatique ou appelant des soins minimes, jusqu?aux automutilations proprement dites qui rendent compte d?une ablation irréversible d?un membre ou d?une partie du corps du sujet, en passant par les gestes auto-offensifs vulnérants, dont la conséquence lésionnelle serait plus due à un choc intense ou à la répétition. Gestes auto-offensifs, le terme serait en effet, selon lui, préférable à une dénomination globale sous le vocable automutilation. Il récuse aussi les termes d?auto-agression ou d?autodestruction de par l?intensité sous-tendue dans ces mots ;
- on peut enfin citer la classification de Dumesnil (31) déterminée par la nature de la relation d?objet dans les états déficitaires de l?enfant.
? La littérature anglo-saxonne propose, elle aussi, différentes expressions avec :
- le ?Self-Injurious Behavior? déterminé par ?une mutilation délibérée du corps ou d?une partie du corps réalisée, non dans une intention suicidaire mais dans le but de contrôler des émotions que les mots ne sont pas à même d?exprimer? (32) ;
- ou encore le ?Self-Destructiv Behavior?, littéralement comportement autodestructeur. Mais dans les deux cas, pour le ?Self-Injurious? comme ?auto-lésion?, ?auto-tort?, et encore plus pour l??autodestruction? du ?Self-Destructiv?, la distinction avec le suicide ou la tentative de suicide est plus qu?ambiguë, et fréquemment les deux termes sont employés indifféremment pour qualifier l?un ou l?autre de ces deux types de pratiques, voire tout simplement les deux de façon globale ;
- nous citerons enfin les ?Deliberate Self-Harm Syndrom? (DSHS) et ?Repetitive Self-Harm Syndrom? qui seront envisagés plus avant et qui apparaissent, eux, le plus, préserver les spécificités du champ pathologique qui nous concerne.
? Le DSM IV, quant à lui, évoque les automutilations dans la personnalité borderline F60.31 (critère 5 : ?Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires ou d?automutilations?). Mais en termes de diagnostic propre, il apparaît légitime de les intégrer dans la catégorie trouble du contrôle des impulsions non classées ailleurs F63, notamment à proximité du trouble explosif intermittent F63.8 marqué par ?plusieurs épisodes distincts d?incapacité à résister à des impulsions agressives??, même si le retournement sur soi de cette agressivité n?est pas mentionné, ou alors F63.9, trouble du contrôle des impulsions non spécifiés ailleurs. La trichotillomanie constitue d?ailleurs, dans ce chapitre, une entité à part entière F63.3.

Au final, il apparaît indispensable, face à un phénomène en pleine expansion, de réfléchir à un même langage pour qualifier ces pratiques répétées d?adolescents ou d?adultes jeunes et ainsi les prendre en charge de façon adéquate. C?est donc sous la dénomination ?automutilations à répétition du sujet jeune? et au travers d?une approche à dominante dimensionnelle que nous nous proposons de circonscrire le phénomène, une tentative de définition ébauchée à partir de ses limites, une définition en creux en fonction de ce que les automutilations à répétition du sujet jeune ne peuvent pas être et dont il nous faudra spécifier ensuite la cohérence nosographique intrinsèque.




Une approche par ses frontières?

Deux grands axes de réflexion pourraient être dégagés pour tenter d?établir des frontières à une conduite qui se questionne justement fréquemment sous l?angle de la séparation-individuation, de la quête de limites dans la réalité du corps :
- l?axe du normal et du pathologique ;
- l?axe terminologique au travers de ce qui définit les termes ?auto?, ?mutilation? et ?automutilation? et enfin par les qualificatifs ?à répétition? et ?du sujet jeune?.

Des automutilations normales et pathologiques
Curieusement, malgré les dimensions de sacralité de l?intégrité corporelle et d?interdit de faire couler le sang soulignées par Le Breton (33), l?automutilation peut être intégrée comme norme (ou normale) et comme fait socioculturel admis.
C?est notamment le cas dans le cadre de rites initiatiques ou encore de pratiques religieuses dans lesquels persistent encore à notre époque des rites attentant au corps sous la forme de lacération de la peau (indiens Lakotas, mais aussi commémorations religieuses comme dans la communauté schiite irakienne), de mutilations sexuelles (circoncision, sans parler des excisions dont le caractère auto-provoqué est plus que discutable), des flagellations, des suspensions, des rituels de deuil?
Sans débattre de la question du geste délibéré et accepté ou de l?intervention du tiers dans ces mutilations, la dimension essentielle qui oppose ces pratiques à notre champ pathologique réside avant tout dans leur caractère foncièrement social et symbolique. Même si déjà la frontière ressemble plutôt à une zone de chevauchement, la valeur d?individuation de ces pratiques relève ici d?une inscription sociale dont les symboliques s?étendent et se conjuguent depuis l?intégration dans un groupe de pairs ou d?une lignée de pères (et/ou de mères) jusqu?à la caractérisation de l?identité sexuelle, en passant par la quête d?expiation aux accents surmoïques primitifs. En ce sens, et à la suite de Le Breton (34), nous refuserons l?affiliation ancestrale des pratiques automutilatoires de nos patients ou alors en les qualifiant de ?rites intimes? (35).
Sociales, intégratives, symboliques sont autant de qualificatifs qui peuvent aussi s?appliquer et différencier notre champ des pratiques mutilantes esthétiques :
- du type tatouages, piercings, scarifications, brandings ou implants réalisés dans des boutiques professionnelles. Malgré une communauté avec nos patients au travers d?un même mécanisme identificatoire cantonné à l?incorporation, leur valeur décorative, dédicatoire et représentative les distingue des automutilations que nous qualifierons de pathologiques ;
- c?est aussi le cas des mouvements artistiques tel que le Body Art avec notamment Gina Pane, bon exemple de ces coupures cutanées effectuées comme vecteur émotionnel mais aussi intellectuel. C?est aussi le cas des performances et particulièrement des suspensions à l?aide de crochets plantés dans la peau dont l?affiliation ancestrale est là encore discutable.
Enfin, il nous faut rappeler que, sous la plume de Shentoub et Soulairac (36), l?automutilation dite primitive revêt un caractère normal et développemental sous la forme de décharges motrices automutilantes chez l?enfant de 12 à 18 mois.
Dans un souci de clarté, et même si les frontières restent floues, voire en admettant une continuité entre le normal et le pathologique, il apparaît que l?absence de dimensions d?intégration sociale, d?esthétisme ou encore l?âge de survenue doivent être des critères essentiels à la caractérisation d?un champ pathologique cohérent.

Depuis l?axe terminologique

À partir d??auto?
Derrière ce préfixe, il nous semble nécessaire d?entendre l?existence d?une conscience, même fragile, du Soi et de l?existence de l?Autre, récusant l?idée d?une redirection hasardeuse de l?agressivité du sujet sur son corps propre. Cela exclut donc les pathologies confinant à l?anobjectal, du type état autistique, ou encore celles marquées par la stéréotypie comme décharge motrice non dirigée et fréquemment retrouvée dans les états déficitaires. Cette précision permet de distinguer notre champ pathologique de celui des passages à l?acte fréquemment observés dans les pathologies déficitaires et qui constituent, selon nous, une entité à part.

À partir de ?mutilation?
Parler de mutilation, c?est réfléchir, à l?image de Carraz et Ehraardt (37), en termes de gravité. Les connotations ?détériorer, détruire partiellement, tronquer? évoquées par le Larousse, nous poussent à écarter de notre champ pathologique les gestes banals tels que l?onychophagie ou encore la trichotillomanie. Ces ?gestes banals? (38) mais répétés responsables avec le temps d?une lésion avérée n?en sont donc pas moins, eux aussi, exclus (39). De même, il est impensable d?imaginer une définition des mutilations dans le champ psychiatrique en dehors d?une inscription dans le réel du corps, écartant du fait la notion de mutilation d?une idée, ou alors toute la nosographie, particulièrement les TOC mais aussi bien la psychose ou les troubles thymiques, pourraient prétendre à ce titre?

A partir d'"automutilation"
La notion d??automutilation? implique, dans la lignée de Shentoub et Soulairac (40) et comme nous avons déjà commencé à l?ébaucher, une dimension d?intentionnalité. Sur cet axe, il nous faut distinguer et exclure :
- les atteintes non délibérées, comme les accidents à répétition, les maladies psychosomatiques ;
- les atteintes délibérées dues à une tentative de manipulation, que ce soit dans le champ de la manipulation consciente, et nous rappellerons à ce titre et dans la lignée de Scharbach (41) que poltron dériverait étymologiquement de ?pollice truncato?, en référence aux jeunes gens qui, à l?époque romaine, se coupaient le pouce pour éviter d?être enrôlé dans la légion. La volonté de se soustraire aux obligations militaires par ce type de geste est d?ailleurs longtemps restée un délit (loi du 21 juillet 1981, article 418). Les limites avec les troubles factices et notamment le syndrome de Munchaüsen apparaissent moins claires mais la quête délibérée et consciente de l?intervention d?un tiers spécifiquement médical les situent tout de même dans un champ à part. En fait, postuler une simple dimension de manipulation consciente de l?Autre dans notre champ pathologique, ce serait faire preuve d?un déni total de la souffrance et des angoisses archaïques qui habitent ces patients, ce qui nous pousse à les récuser. À l?opposé, l?état psychotique aigu avec un délire actif dominé par un syndrome d?influence s?exclut lui aussi de notre champ, le sujet étant alors manipulé par une force qui lui apparaît extérieure ;
- l?intentionnalité suicidaire pose par contre un problème plus épineux. La phlébotomie ou encore l?ingestion de toxiques peuvent tantôt être qualifiées de tentative de suicide, tantôt d?automutilations. De plus indépendamment du moyen utilisé, le décès du sujet oblige au qualificatif de suicide. Même s?il semble logique de se rattacher à la thèse d?une continuité entre les deux phénomènes, la distinction s?effectue donc fréquemment en précisant dans la définition des automutilations ?en l?absence d?intentionnalité suicidaire?, ceci depuis 1919 et la thèse de Lorthois (42). À ce critère, nous opposerons toutefois une objection avec l?étude de Stanley (43) qui montre que le risque suicidaire est cent fois plus élevé chez les sujets aux antécédents d?automutilations et qu?ils présentent souvent, lors d?actes dits automutilatoires, des idéations suicidaires a minima. Néanmoins, la population des automutilateurs possède, toujours selon lui, des spécificités à type d?impulsivité, de sensibilité au rejet et d?instabilité affective permettant de souligner la pertinence du distinguo nosographique automutilations/tentatives de suicide. Ainsi, la définition de l?acte automutilatoire par rapport à la tentative de suicide nécessiterait une double qualification : une faible intentionnalité suicidaire certes, mais corrélée à un risque létal faible.
À partir de la ?répétition?
Même si la notion de répétition est difficile à formuler en termes de fréquence chiffrée et renvoie à des aspects contre-transférentiels nets dans sa définition, cette caractéristique est importante et permet autant de renforcer l?inscription dans un champ pathologique que d?éliminer les ablations irréversibles du type auto-énucléation ou autocastration et qui sont, de façon quasi systématique, le fait de délires psychotiques actifs.
À partir ?du sujet jeune?
Pour marquer l?appartenance du phénomène aux processus inhérents de l?adolescence, comme nous le suggère l?épidémiologie, il apparaît indispensable de se placer, par le biais de cette terminologie dans le champ des adultes jeunes, des adolescents. Le but est ici de se fixer un cadre de survenue des troubles de façon à exclure les pathologies infantiles autant que les pathologies congénitales du type du Lesh Nyan.




Tentative de définition des?automutilations à répétition du sujet jeune? par leur valeur extrinsèque
L?attaque pathologique, conséquente, délibérée, impulsive, d?une partie du soi corporel, en dehors d?une intentionnalité suicidaire et d?un risque létal notables, qui, par sa répétition, marque sa dimension contraignante, compulsive (hors du champ de la manipulation ou de la mythomanie) et exclut les ablations irréversibles d?un organe ou d?un membre, ceci chez un adolescent ou un adulte jeune ne présentant ni déficience mentale, ni état psychotique caractérisé.




Une cohérence intrinsèque du champ défini
Le champ ainsi circonscrit possède une validité extrinsèque, mais au-delà il comporte aussi une cohérence intrinsèque, soutenue par sa pertinence critériologique autant que son homogénéité clinique.

Une pertinence critériologique : le ?Deliberate Self-Harm Syndrom? de Pattisson et Kahan

Pattison et Kahan (44) publient en 1983 dans l?American Journal of Psychiatry un article qui fait aujourd?hui référence pour qui s?intéresse au champ des automutilations. Partant du même constat que celui fait depuis le début de notre développement d?une multiplicité des comportements autodestructeurs et de leurs classifications, ils ont en effet réalisé une étude de la littérature, à partir de 56 cas répertoriés dans la presse, étude qui leur a permis de définir une entité spécifique et indépendante sur un plan épidémiologique, clinique et nosographique notamment face à la tentative de suicide (même si, pour eux aussi, cette dernière se place en continuité de leur DSHS). Plus avant, les auteurs postulent que leur entité aurait même toute sa pertinence en tant que diagnostic propre au sein du DSM IV (ce qui n?a pas eu lieu).
Or le DSHS se définit par 7 critères :

1. Début durant la fin de l?adolescence.
2. Multiples épisodes et multiples moyens d?attaque du corps (et dans ce cas prédominance féminine).
3. Comportement s?étendant sur plusieurs années.
4. Faible létalité.
5. Symptômes prédominants :désespoir, anxiété, colère et contraintes cognitives.
6. Association à la psychose et à la dépression.
7. Nombreux facteurs prédisposants :défect du support social, homosexualité (pour les hommes), abus d?alcool et de drogue, et idéations suicidaires (principalement chez les femmes).

Les notions d?âge, de répétition, de faible létalité et de continuité des comportements autodestructeurs selon les axes de létalité et l?opposition geste direct/geste indirect, confortent la validité intrinsèque de notre définition.
Quant aux facteurs associés, ils nous renseignent déjà sur l?existence d?une cohérence clinique à notre ensemble. Le cas plus particulier de l?association à la psychose ne met pas en péril notre définition : en effet, son association avec des conduites automutilatoires décrit un phénomène spécifique selon les résultats de Pattisson et Kahan avec au premier chef ici une faible répétition de la conduite et leur survenue chez des sujets de plus de 30 ans. Sur cette base, notre champ pathologique possède donc un début de cohérence critériologique sans s?inscrire exactement dans la définition de Pattisson et Kahan.

Une cohérence intrinsèque clinique : le ?Repetitive Self-Harm Syndrom? de Favazza et Rosenthall
Par ?Repetitive Self-harm?, Favazza et Rosenthal (45) définissent une entité pathologique dont le diagnostic peut être posé dans le cas de sujets obsédés par l?atteinte de leur corps avec défaut du contrôle des impulsions, cherchant à se détruire ou à altérer leurs tissus. Elle se manifeste, par ailleurs, par le sentiment de tension qui précède l?acte, l?apaisement qui le suit (effet catharthique). Elle ne serait pas liée à une intention suicidaire, à une hallucination ou à une tentative de manipulation, ni une réponse à un retard mental.
Là encore, cette définition reconnue soutient la cohérence intrinsèque de notre champ, notamment sous l?angle de la contrainte et de la compulsivité que nous avons utilisées. Mais leur définition distingue un type compulsif (gestes banals névrotiques) et un type impulsif avec un sous-groupe répété et l?autre épisodique. Notre champ évoquerait plus spécifiquement le type impulsif répété, mais ne saurait dénier sa dimension compulsive au travers notamment de la séquence comportementale et donc en ce sens possède sa spécificité.




Au total, de la nécessité de parler un même langage
Gardant à l?idée que les automutilations à répétition du sujet jeune sont, avant tout, une tentative d?apaisement d?angoisses non verbalisables, il nous apparaît fondamental que les professionnels en charge de cet épineux problème soient, eux, capables de parler un même langage concernant ce phénomène. En ce sens, il est fondamental de pouvoir garder en tête les multiples aspects de ces conduites, mais aussi de pouvoir en donner une définition consensuelle. Le champ nosographique ici spécifié possède une certaine cohérence extrinsèque mais aussi intrinsèque, et n?a pas d?autre prétention que d?ébaucher des lignes de réflexion concernant ce phénomène en pleine expansion. Des études précises seraient à ce titre indispensables de manière à affiner la compréhension de ces automutilations dans leurs aspects cliniques, physiopathologiques comme psychopathologiques, et surtout de manière à affiner leur prise en charge. Cette dernière perspective reste en effet essentielle, notamment au regard de la violence ressentie par les soignants face à ce type de pratiques, véritable vécu traumatique infiltrant la dynamique contre-transférentielle.

Synapse, novembre 2004, N° 209
Bibliographie
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3. Centre de recherche sur le suicide d?Oxford, publié dans FMC Nervure, juin 2003 et BMJ, 2002.
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5. Centre de recherche sur le suicide d?Oxford, publié dans FMC Nervure, juin 2003 et BMJ, 2002.
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8. Idem.
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28. Carraz, Ehraardt. ?L?automutilation chez les enfants en institution?. Rev. Neuropsychiat. Enfant, 1973 ; 21 : 217-21.
29. Shentoub, Soulairac. ?L?enfant auto-mutilateur. Les conduites auto-mutilatrices dans l?ensemble du comportement psychomoteur normal. Étude de 300 cas?. Psychiat. Enfant, 1961 ; 3 : 37-48.
30. Scharbach H. Automutilations et auto-offenses. Éd. Nodules, PUF, 1986.
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33. Le Breton D. La Peau et les Traces. Métaillé, 2003.
34. Idem.
35. Idem.
36. Shentoub, Soulairac. ?L?enfant auto-mutilateur. Les conduites auto-mutilatrices dans l?ensemble du comportement psychomoteur normal. Étude de 300 cas?. Psychiat. Enfant, 1961 ; 3 : 37-48.
37. Carraz, Ehraardt. ?L?automutilation chez les enfants en institution?. Rev. Neuropsychiat. Enfant, 1973 ; 21 : 217-21.
38. Chiland C. ?L?automutilation : de l?acte à la parole?. Neuropsychiatrie de l?enfance, 1984 ; n° 4 : 169-70.
39. Idem.
40. Shentoub, Soulairac. ?L?enfant auto-mutilateur. Les conduites auto-mutilatrices dans l?ensemble du comportement psychomoteur normal. Étude de 300 cas?. Psychiat. Enfant, 1961 ; 3 : 37-48.
41. Scharbach H. Automutilations et auto-offenses. Éd. Nodules, PUF, 1986.
42. Lorthois. ?De l?automutilation ? mutilations et suicides étranges?. Thèse de médecine, Lille, 1919.
43. Stanley. ?Are suicide attempters who self mutilate an unique population ?? Am. J. Psych., n° 158 : 427-32.
44. Pattisson E.M., Kahan J. ?The deliberate self-harm syndrom?. Am. J. of Psych., 1983 ; n° 140 : 867-72.
45. Favazza E.M., Rosentahl. ?The coming of age of self-mutilation?. J. Nerv. Ment. Dis., 1998 ; 186 (5) : 259-68.
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Message par Never Alone With Myself »

interessant, vraiment.
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Message par Pandora »

Document très intéressant qui relate bien les différentes types d'orientation que peut prendre l'AM.


1. Début durant la fin de l?adolescence.
2. Multiples épisodes et multiples moyens d?attaque du corps (et dans ce cas prédominance féminine).
3. Comportement s?étendant sur plusieurs années.
4. Faible létalité.
5. Symptômes prédominants :désespoir, anxiété, colère et contraintes cognitives.
6. Association à la psychose et à la dépression.
7. Nombreux facteurs prédisposants :défect du support social, homosexualité (pour les hommes), abus d?alcool et de drogue, et idéations suicidaires (principalement chez les femmes).

Cela représente assez bien, le contexte de naissance de l'AM. Et pour la prévenir, il faut tolérer l'AM "débutant", le tox, l'alcoolo, bref tous les clichés de l'adolescence à risque.
Qui croyais-tu que j'étais ?
Tu n'as pas vu les plaies de mes mains, ni les horribles cicatrices sur ma peau, ni les larmes qui coulent sur mes joues chaque triste matin lorsque je découvre de nouveau les fils de soie et d'or qui tissent ma toile.
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Ysilne
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Message par Ysilne »

Assez interressant, meme si je regrette la complexité des termes utilisés. Et le langage trop spécialisé inutilement (à tendance psychanalytique...).

Je trouve quand meme que ca ne fait que resumer ce que d'autres ont dit, sans vraiment chercher plus. On n'a ici que quelques faits, pas vraiment de 'diagnostique' (il hesite entre plusieurs classifications), pas de theories sur les causes (ca se retrouve dans d'autres etudes), pas non plus de notion de traitement. Meme pas un etat des lieux, on n'a pas de chiffres, de repartition dans la population et entre les sexes...
Une tentative de definition, donc. Pas la premiere.

Mais des choses bien pour ceux qui ont peu lu sur le sujet.
La douleur qui se tait n'en est que plus funeste.
RAC. Androm. III, 3.
Vincent

Message par Vincent »

Ysabelle,

Ce doc ne te satisfait pas vraiment, mais je le trouve intéressant aussi parce qu'il m'appris que des chercheurs du CHU de Nantes travaillaient sur l'am. La plus part des références sont étrangères, pour le coup je trouve ça bien d'avoir les noms de personnes qui creusent un peu le sujet de l'am et qui plus est, soient françaises.
Nararatrn
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Re: Etat des lieux et définition de l'automutilation

Message par Nararatrn »

you give a good definition of self-harm and play states! thanks for sharing your knowledge!
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Songerie
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Re: Etat des lieux et définition de l'automutilation

Message par Songerie »

C'est en anglais :cry:
Chaque grain de lumière, Pour un grand rayon de soleil.

Quando mi dicono ... " non sei normale" mi guardo attorno ... ci penso... tiro un sospir di sollievo e rispondo... E meno male !
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Ysilne
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Re: Etat des lieux et définition de l'automutilation

Message par Ysilne »

C'est un sujet de 2005. Je suppose que la personne qui l'a remonté avait vraiment envie de placer un lien (que je vais retirer, donc), quitte à viser des forums dans une autre langue que la sienne.
Tant pis,ça fera toujours un peu de lecture pour ceux que ça intéressent, même si la recherche sur l'AM a beaucoup évolué en plus de 10 ans.
La douleur qui se tait n'en est que plus funeste.
RAC. Androm. III, 3.
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