j'ai mis la mention "ATT AM" un peu au pif. Comme je suis nouvelle, je ne sais pas trop à partir de quand on considère qu'un message peut heurter la sensibilité, donc j'ai préféré prendre les devants. Bon, alors ce soir, il faut absolument que je parle, sinon je vais juste péter un câble. Je m'excuse d'avance pour la longueur du post, ça risque d'être un pavé.
J'avais l'impression d'en être sortie - je le croyais sincèrement, et pourtant je n'ai jamais complètement arrêté. Ces dernières années, je me suis automutilée (ou autoblessée, même si ça se dit pas) environ une fois par mois, ce qui n'est quand même pas énorme. Autrefois, il y a eu des périodes où je me coupais plusieurs fois par jour. Je détestais l'arrivée de l'été parce que ça signifiait crever de chaud sous des pantalons et des tee-shirt à manches longues, pour éviter les questions gênantes. Maintenant ça ne me gêne plus. Quand je me blesse, je le fais à des endroits plus discrets et les cicatrices sur les bras et les jambes sont anciennes, quoique toujours visibles. ça me stresse toujours quand je surprend le regard d'un inconnu ou d'un proche fixé sur mes bras (ça arrive régulièrement). Surtout qu'y a pas mal de gens qui font ça d'une manière vraiment peu discrète. Quand on me demande ce que c'est, je réponds "je me suis battue avec un lion !" ou "ah là là, la crise d'adolescence, tu sais ce que c'est...". Comme ça, les gens se marrent et n'insistent pas. Je fais semblant de trouver ça drôle ou anodin, comme si je m'étais contentée de m'égratigner avec l'initiale du prénom d'un amoureux maudit. Sauf que ce n'est ni drôle, ni anodin. Du coup, je ne parle de ça avec personne. Autrefois, quand c'était une addiction incontrôlable, j'en discutais avec des amies ou des gens qui faisaient la même chose, rencontrés via internet. ça ne m'aidait pas des masses, mais c'était toujours ça. Aujourd'hui je n'en parle plus du tout. Pour n'inquiéter personne. Pour me prouver à moi-même que je ne fais pas ça pour attirer l'attention. Les gens croient que c'est terminé. ça ne l'est pas.
Le pire, vous connaissez sans doute ça, c'est quand un enfant vous demande ce que vous avez sur les bras. Comment dire ça à un gosse ? Comment lui dire, "tu sais, petit, dans quelques années tu passeras peut-être par là, toi aussi. Les ados ne sont pas tendres entre eux, oh que non, tu risques de morfler ! Tu veux que je te conseille des instruments ?"
Pardonnez-moi. L'humour noir me permet de dominer tout ça.
Jouer les alchimistes de comptoir. Transformer la douleur psychique en douleur physique. Vous savez ce que c'est. Pour que la douleur qu'on n'arrive pas à dire devienne concrète. Ou parce qu'on est trop vide à l'intérieur - pour ressentir enfin quelque chose. Autrefois, c'était pour exprimer mon mal-être. Et aussi, peut-être, pour trouver une justification à mon malheur. On dit parfois aux gens déprimés qu'il y a pire ailleurs, qu'il faut relativiser. Que tant qu'on a un toit sur la tête et de la bouffe dans la gamelle, on n'a aucune raison de se plaindre. Alors on se sent coupable d'être malheureux alors qu'on ne devrait pas. Quand on se fait du mal, là, on sait pourquoi on a mal - on légitime le mal.
Aujourd'hui, j'ai l'impression d'aller bien. Mais l'envie de me faire du mal est toujours là. Cette fois, je crois que c'est pour chasser le vide dont je parlais ci-dessus. Vous connaissez ce sentiment ? Il est mien depuis des années. J'ignore ce qui l'a provoqué. J'ai des pistes, aucune certitude. Aller mal est une chose. Ne rien ressentir en est une autre. être indifférent aux autres. Avoir la sensation que nos rares émotions ne sont que des réactions programmées par le cerveau pour donner le change, parce qu'admettre qu'on ne ressent rien, c'est admettre qu'on est un monstre.
J'ai cru aimer quelqu'un, il y a quelques mois. Puis je n'ai plus rien ressenti. Alors j'ai rompu. L'autre a pratiquement sombré dans la dépression. Et je m'en foutais. Sincèrement. Je m'en fous toujours, d'ailleurs, alors qu'il est au plus mal. A cause de moi. Et alors ? Suis-je responsable des sentiments que je peux provoquer ? Devrais-je me sentir coupable pour avoir rompu parce que je n'aimais pas, plus ? Je ne le pense pas. Mais je sais quand même que quelque chose cloche. Qu'on est censé se soucier de ceux qui ont compté pour nous. Qu'on est censé être triste, ou content dans les cas les plus pervers, de leur faire du mal. Moi, je m'en fous.
C'est peut-être pour ça que j'aime autant me faire du mal. Pour ressentir un truc, enfin, même si c'est négatif. Ou pour me punir ? Dans ce dernier cas, c'est vraiment très inconscient, alors, parce que je ne me sens coupable de rien.
Vous savez pourquoi on se sent aussi bien pendant les minutes qui suivent l'AM ? Il y a une explication scientifique, je crois. Paraît qu'en cas de douleur vive, le cerveau secrète des endorphines pour calmer la souffrance. ça rend euphorique.
J'ai aussi envie que les gens s'occupent de moi, il faut dire ce qui est. Je ne suis pas du tout communicative. Quand je vais mal, personne ne s'en aperçoit et je n'en parle pas. J'attends des autres qu'ils soient des devins. S'ils sont incapables de voir tout seuls ce qui est invisibles, alors ils ne me seront d'aucune utilité pour résoudre mon problème. C'est ridicule, je sais, mais je fonctionne comme ça depuis toujours, je sais à quoi c'est dû et ce n'est pas près de changer. Alors parfois j'ai envie d'attirer l'attention. Une façon de leur dire : "hey, je suis là, ça ne va pas, aide-moi, mais je ne m'abaisserai pas à te le demander directement". Alors j'arbore une coupure à la base du cuir chevelu - pour que ça ne se voie pas trop -, des ecchymoses sur le poignet, des croûtes purulentes sur les doigts. Pour qu'on me pose la question, au moins, même si je ne dis jamais la vérité, même si j'élude la question. Pour savoir qu'on se soucie quand même de moi.
J'essaie de ne pas trop me couper. Je privilégie d'autres méthodes, tout aussi douloureuses, mais moins voyantes. Des coupures parallèles et nettes sur le bras, c'est un véritable aveu. Difficile de trouver une excuse, j'ai passé mon adolescence à en chercher. Un chat, un chien, des ronces... tss. Pas besoin d'être médecin pour savoir que seule une main humaine armée d'un objet coupant peut tracer des sillons aussi nets. Mais rien ne vaut l'AM. Parce qu'il y a quelque chose d'éminemment symbolique à voir une blessure cicatriser de jour en jour. Comme si la souffrance guérissait avec.
Un jour, un ami m'a dit qu'il les trouvait belles, mes cicatrices. C'était la première fois qu'on me disait ça. ça m'a étonnée, parce qu'il n'avait jamais évoqué ce sujet. Je pensais qu'il n'avait rien remarqué. Il m'a dit que ces traces sur mes bras racontaient une histoire. Que le temps n'épargne aucun humain et que la peau de bébé qu'arborent certaines personnes lui paraît laide. Parce que les rides, les marques témoignent de notre vie. Un visage parfait est une visage qui n'a jamais rien vécu.
Il y a beaucoup de gens qui éprouvent le besoin de me prendre le bras et de passer un doigt sur les cicatrices. Sans même demander l'autorisation, la plupart du temps sans qu'on ait abordé le sujet de l'AM. ça vous arrive, à vous aussi ? ça les fascine. Je n'aime pas quand on fait ça. D'autant que ce sont toujours des gens que je connais peu, voire à peine. Jamais des proches. Ceux-là n'oseraient jamais.
Bref. Là, ce soir, j'ai envie de me couper. Le bras, pour être plus précise. ça fait longtemps que je ne l'ai pas fait à cet endroit. Des années, je pense.
(Attention : ne lisez pas ce spoiler si vous n'avez pas complètement arrêté l'AM. Si vous êtes comme moi, ça risque de vous donner envie de le faire et ça, ça me ferait bien chier. Désolée pour ce qui suit, mais j'ai besoin de l'écrire. Si un modérateur considère que ça n'a pas sa place ici, s'il vous plaît, merci de supprimer seulement ce passage et non tout mon message, qu'il m'a fallu du temps et du courage pour rédiger).
La seule chose qui me fait hésiter, c'est qu'on est en été et que je n'ai pas envie de me trimballer des pulls pour cacher ça en cette chaude saison. Sans ça, ce serait fait depuis minuit et je serais enfin soulagée.
Un pansement, un bandage ? Personne ne serait dupe. Dans ma famille, ils ne redoutent qu'une chose, me revoir recommencer. Ils ignorent que je n'ai jamais complètement arrêté.
Alors quoi ? Il y a quelques années, j'ai épluché tout l'internet à la recherche de moyens de remplacement. Je connais par coeur toutes les techniques. Se dessiner un trait rouge au marker pour imiter le sang, mettre un pansement pour faire semblant de s'être coupé, remettre à plus tard (c'est ce que je fais depuis un mois), écrire, dessiner... ça ne marche plus. Enfin, si, ça marche, puisque je n'ai toujours pas cédé à cette pulsion. Mais c'est effroyablement temporaire.
Je ne cherche pas de conseils. Tous ceux qu'on peut donner à propos de l'AM sont bateau, je les ai déjà entendus et prodigués mille fois. J'avais juste besoin d'écrire. Et ce n'est pas si dramatique, une fois par mois. C'est juste que ce soir, ça m'obsède.
Joker. Merci de m'avoir lue, pour les rares qui auraient eu la motivation d'aller jusqu'au bout.